[D66] How the World Swung to the Right

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Wed Aug 22 14:15:48 CEST 2018


https://www.humanite.fr/la-droitisation-du-monde-touche-lensemble-de-nos-existences-618482
« La droitisation du monde touche l’ensemble de nos existences »
Jeudi, 20 Octobre, 2016

« Droitisation » : le mot a envahi les analyses de la vie politique,
souvent dans un cadre franco-français. Dans son dernier ouvrage, « la
Droitisation du monde », c'est à l'ensemble de la planète que François
Cusset étend l'analyse de cette lame de fond. Écrivain, chercheur en
histoire intellectuelle et politique contemporaine, professeur d'études
américaines à l'université de Nanterre, il détache son point de vue des
seuls cadres nationaux, échiquiers politiques et calendriers électoraux,
et met au jour un processus aussi profond que contemporain ­ à peine un
demi-siècle ­, toujours en cours, dans une perspective d'histoire et de
pensée critiques. Pour le comprendre dans toute son ampleur et, partant,
déceler les issues émancipatrices possibles dans un paysage confus et
bouleversé. Entretien.

HD. Pour rendre lisible notre monde complexe, vous proposez l’hypothèse
de sa droitisation. Sur quoi la fondez-vous ?

François Cusset. Le dernier demi-siècle est marqué par un cycle
contre-révolutionnaire qui constitue un retournement. Le cycle
émancipateur, progressiste du milieu du XXe siècle – décolonisation des
deux tiers de la planète, émergence d’une culture jeune, protestations
étudiantes et ouvrières, État providence… – a suscité en réaction,
dialectiquement, à partir du milieu des années 1970, un retour de bâton
de la classe dirigeante, dont les lignes sont variées mais se mêlent. Le
capitalisme familial, national et protectionniste, est devenu
spéculatif, actionnarial et mondialisé ; l’économie de production est
devenue financière et spéculative ; la consommation définit désormais
entièrement notre existence individuelle et collective… La fin du bloc
de l’Est a ouvert au capitalisme un territoire nouveau, tout en mettant
en deuil les tenants des politiques émancipatrices ou progressistes. Le
« sud » de la planète a émergé à la fois économiquement et
culturellement – pas encore politiquement. Est également survenu le
désastre écologique, accélération hyperbolique des ravages produits par
le capitalisme. Enfin, la révolution technologique constitue à la fois
une immense métamorphose économique et une révolution existentielle
rendant nos vies ubiquitaires, virtuelles, à la fois hypersocialisées et
totalement individualisées. S’ajoutent les questions identitaires
nouvelles : si la « théorie » du « choc des civilisations » relève de la
propagande néoconservatrice, des tensions religieuses et ethniques
existent. Toutes ces lignes vont dans le même sens : un énorme cran
supplémentaire dans l’histoire moderne vers la droite, pas seulement sur
l’échiquier politique, mais aussi en termes de valeurs, de modes de vie,
de visions du monde et même de pratiques collectives – désormais
incarnées par l’équipe de foot, la Manif pour tous, la communauté
religieuse ou le réseau social… –, dont sont absentes les formes
sociales progressistes du XXe siècle.

HD. Vous analysez ce processus de « droitisation du monde » tout en
estimant qu’on peut aujourd’hui se passer des catégories droite-gauche.
N’est-ce pas paradoxal ?

François Cusset. À gauche, s’est creusé un abîme entre la gauche de
gouvernement, gestionnaire et « efficace », plus austéritaire et
sécuritaire que ses homologues de droite depuis la triade
Clinton-Blair-Schröder, et une gauche de combat en miettes, prise en
étau entre une tentation électorale illusoire, une nostalgie du grand
soir et une mobilisation qui ne se reconnaît pas en elle : Nuit debout,
Occupy Wall Street, les Indignés… Au sein de la droite classique, deux
lignes historiquement en contradiction ont formé une alliance
stratégique : la droite des marchés, du libre-échange radicalisé, de la
haine de l’État et de la suppression de toutes les barrières à la
mondialisation économique, et la droite des valeurs patrimoniales,
chrétiennes et identitaires. Sous le prétexte de la « guerre des
civilisations », après le 11 septembre 2001, mais cela repose
fondamentalement sur la défense des intérêts des classes dirigeantes.

HD. Que devient le rôle de l’État dans ce grand virage ?

François Cusset. La doctrine néolibérale élaborée après guerre lui
vouait une haine viscérale. Ensuite, ses tenants et les acteurs
économiques sont devenus les meilleurs amis d’un État qui a sauvé le
système lors de la crise des subprimes, d’un État austéritaire à
l’échelle européenne et d’un État sécuritaire qui, sous prétexte d’état
d’urgence, endigue les mouvements sociaux… Ce sont les fonctions mêmes
de l’État qui ont changé. Historiquement vouées à protéger, compenser,
instruire, égaliser partiellement, elles sont désormais de trois ordres
en Occident : présenter aux marchés une administration rentable en
supprimant ses fonctions sociales dépensières ; une fonction
diplomatico-politique de service aux entreprises ; une fonction
militaro-policière, qui va de l’interventionnisme aux quatre coins du
monde sous prétexte de lutte antiterroriste à une hypersurveillance
généralisée poliçant nos existences.

HD. En quoi le développement de la « biopolitique » est-il une
expression de cette droitisation ?

François Cusset. Ce terme, dû à Michel Foucault, désigne le rapport
entre les formes de pouvoir politique et les formes de vie à la fois
organique, existentielle, morale, normative. La biopolitique a émergé
avec la mise en œuvre par les États de politiques natalistes, par
exemple, s’insinuant dans des aspects de nos existences qui n’étaient
pas de leur ressort. Un siècle plus tard, l’extension du capitalisme se
fait dans deux directions simultanées. À la fois vers le plus volatil –
la spéculation qui déstabilise l’économie, précarise le travail et
sacrifie la production – et vers le plus concret, organique, intime –
ces dimensions de nos existences qui ne relèvent pas du domaine de la
marchandise, de la vie de « l’âme » à la sexualité en passant par la
rentabilisation du temps disponible avec l’ubérisation. En nous incitant
à optimiser nos existences, la biopolitique individualise radicalement
nos façons de faire et impose des normes, légifère. C’est, en outre, un
secteur économique en plein boom. Invention des États, la biopolitique
est désormais l’apanage d’immenses multinationales privées – le rachat
de Monsanto par Bayer en est un exemple spectaculaire. En fait, trois
domaines fondamentaux sont passés de la gauche à la droite. La nation,
invention des peuples de gauche et des révolutions du XIXe siècle. Le
vitalisme, situé à gauche, et les biopolitiques étatiques progressistes
au XIXe siècle (elles étaient en même temps coloniales…), désormais de
droite, où la vie doit être rentabilisée. Enfin, la culture : au cycle
de l’après-guerre, avant-gardiste, indissociable du changement social et
de la déstabilisation des pouvoirs en place, a succédé l’extension de la
culture à tous les aspects de l’existence, une industrie devenue le
moteur de l’économie mondiale, sphère de loisirs pour oublier les
rapports de forces. La lame de fond de la massification de l’accès à
l’éducation et à la culture, mais aussi aux droits sociaux, change la
donne : créateur et consommateur sont deux fonctions indifférenciées, ce
qui va aussi bien dans le sens d’une reprise en main du pouvoir culturel
par les gens que dans le sens du nivellement par le bas, du
démantèlement des points de repère, sans rien avoir à mettre à leur place…

HD. Que deviennent alors les questions et les perspectives sociales et
collectives ?

François Cusset. Les formes de mobilisation collective antérieures ont
perdu la plus grande part de leur crédibilité ou de leur efficacité. Et
en même temps, il y a du nouveau : les ZAD, les mouvements de quartier,
la jeunesse mobilisée pour occuper les places… Ces phénomènes, mondiaux,
convergents dans le temps depuis les printemps arabes, sont le signe
d’une réinvention des formes de mobilisation, encore minoritaires et
réticentes à l’organisation et donc insuffisamment stratégiques. Le
mouvement social unitaire, avec ses formes d’organisation
traditionnelles, n’a pas d’autre choix, face au moloch de droite, que
d’avancer main dans la main avec ces nouveaux combats.

« Droitisation » : le mot a envahi les analyses de la vie politique,
souvent dans un cadre franco-français. Dans son dernier ouvrage, « la
Droitisation du monde », c’est à l’ensemble de la planète que François
Cusset étend l’analyse de cette lame de fond. Écrivain, chercheur en
histoire intellectuelle et politique contemporaine, professeur d’études
américaines à l’université de Nanterre, il détache son point de vue des
seuls cadres nationaux, échiquiers politiques et calendriers électoraux,
et met au jour un processus aussi profond que contemporain – à peine un
demi-siècle –, toujours en cours, dans une perspective d’histoire et de
pensée critiques. Pour le comprendre dans toute son ampleur et, partant,
déceler les issues émancipatrices possibles dans un paysage confus et
bouleversé. Entretien.

François Cusset est écrivain, historien des idées, professeur à
l'université Paris-Ouest Nanterre-la Défense


« LA DROITISATION DU MONDE », DE FRANÇOIS CUSSET, CONVERSATION AVEC
RÉGIS MEYRAN, ÉDITIONS TEXTUEL, 2016, 192 PAGES, 15 EUROS.

Un ouvrage de mise au point, selon son auteur ­ dont les travaux portent
depuis longtemps sur le tournant néolibéral des dernières décennies,
mais aussi sur ses opposants, des mouvements sociaux aux contre-cultures
­, qui s'attache ici à dénouer les fils du grand virage droitier à
l'échelle mondiale ­ initié dès l'aube des années 1970 ­, entremêlés et
composés des diverses facettes de notre présent. Détaillant ce long «
retour de bâton », réactionnaire et individualiste, cynique et guerrier,
bienveillant et divertissant, il interroge ses reconfigurations et ce
que peuvent encore les forces de résistance et d'émancipation. François
Cusset a publié, notamment, « French Theory » et « la Décennie : le
grand cauchemar des années 1980 » (la Découverte, 2003 et 2006), et
dirigé « Une histoire (critique) des années 1990 » (Centre
Pompidou-Metz, 2014). Il est aussi l'auteur de deux romans, « À l'abri
du déclin du monde » et « les Jours et les jours » (P.O.L, 2012 et 2015).
Entretien réalisé par Lucie Fougeron


On 22-08-18 13:59, Ⓐ wrote:
> How the World Swung to the Right
> 
>   *
> 
> 
> <https://mitpress.mit.edu/books/how-world-swung-right#>
> 
> From Semiotext(e) / Intervention Series
> <https://mitpress.mit.edu/books/series/semiotexte-intervention-series>
> 
> 
>   How the World Swung to the Right
> 
> 
>     Fifty Years of Counterrevolutions
> 
> By François Cusset <https://mitpress.mit.edu/contributors/francois-cusset>
> 
> Translated by Noura Wedell
> 
> An examination of the reactionary, individualist, cynical, and
> belligerent shift in global politics to the right, implemented both by
> the right and the establishment left.
> 
> Distributed for Semiotext(e)
> <https://mitpress.mit.edu/books/distribution/semiotexte>
> 
> Paperback
> $14.95 T ISBN: 9781635900163 176 pp. | 7 in x 4.5 in July 2018
> 
> 
>       Summary
> 
> *An examination of the reactionary, individualist, cynical, and
> belligerent shift in global politics to the right, implemented both by
> the right and the establishment left.*
> 
> Systemic, euphemized, insidious and structural violence has increased.
> It is now objectively measurable by the gulf in revenues, by subjective
> malaise, or by the menace of ecological apocalypse, and also by their
> constant exacerbation.—from /How the World Swung to the Right/
> 
> Despite a few zones of active resistance—the alter-globalization
> movement, the Chiapas uprisings, the Arab springs, and the recent
> resistance to racialized police brutality and environmental and
> genocidal warfare in the United States—the last half-century has been
> witness to an undeniable global shift to the right. /How the World Swung
> to the Right/ provides a comprehensive overview of this reactionary,
> individualist, cynical, and belligerent shift, which often has been
> cloaked in the guise of entertainment and good intentions. The
> counterrevolutions began with a first phase of deregulation and
> ideological counter-attacks, and the fall of the so-called “real”
> communisms. The 1990s inaugurated a global biopolitical turn and the
> financialization of the economy; the 2000s hammered in neoliberal gains
> through the alliance of ultraliberalism with neoconservatism. These
> policies were implemented, surprisingly, not only by the right but often
> by the establishment left. Cusset argues that in the face of this
> betrayal, conflict is the one thing we can still salvage from the notion
> of the “left.” What we need today, he contends, are new sites of
> conflict that multiply the causes of struggle and the sites of
> mobilization, linking socioeconomic struggle with questions of identity
> and the urgency of ecology.
> 
> 
>       Authors
> 
> 
>         François Cusset
> 
> François Cusset is Professor of American Studies at the University of
> Paris-Ouest Nanterre, François Cusset is a writer and intellectual
> historian. A specialist in contemporary intellectual and political
> history, he is the author of /French Theory: How Foucault, Derrida,
> Deleuze, & Co Transformed the Intellectual Life of the United States/
> and /The Inverted Gaze: Queering the French Literary Classics in America/.
> 
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