[D66] Nezahualcoyotl. La ville et le poète.

jugg at ziggo.nl
Fri Aug 17 06:49:23 CEST 2018


https://delautrecoteducharco.wordpress.com/2018/08/14/nezahualcoyotl-la-ville-et-le-poete/#more-2832


Nezahualcoyotl. La ville et le poète.
14 août 2018 / Traba , Patxi Beltzaiz	

             Nezahualcoyotl. Roi, poète et architecte aztèque. Il
donnera son nom à un des quartiers les plus importants de Ciudad de
México. Il se dit aussi que c’est un des plus violents où les
féminicides, les homicides sont parmi les plus élevés de l’état de
México. Plus d’un million d’habitants Un quartier presque aussi grand
que Paris intra-muros. Une démésure à la Mexicaine puisque sa capitale,
elle, atteint près de 22 millions d’habitants.
Forcément, un quartier qui porte le nom d’un poète peut donner envie de
faire de la poésie. Jonathan Ruiz, malgré les difficultés de vivre dans
un quartier aussi chaotique, n’a pas hésité à saisir les mots pour
parler de sa réalité quotidienne. Pour mettre de la couleur sur le gris
des murs de sa ville.


            Neza, pour les intimes, est le fruit des migrations des
paysans à la ville dans les années 1940-1950. De simples maisons de
tôles et de bois, faites par tous ceux qui recherchaient un lieu près de
la grande ville tant rêvée, Ciudad de México. Ces travaux collectifs ont
permis d’amener l’électricité, de faire le drainage de la route. Une
grande majorité venait de Oaxaca, Guerrero, Michoacan; ils ont
reconstruit le mode de vie de leur village. Jonathan raconte que sa
grand-mère voyait dans les tourbillons de poussière, l’oeuvre du diable
et qu’elle les chassait en faisant des prières. Une image qui a
longtemps poursuivi le jeune garçon et qui, peut-être, a alimenté sa
façon de voir le monde.
Neza est née de rien, seulement des rêves de grandeurs de paysans
pauvres. Et plus qu’un quartier, Neza est devenu une communauté avec une
identité forte. Palpable dans le regard de chaque habitant. Puis le
quartier a grandi, des pauvres hères débarquant chaque jour à la
recherche de travail et de dignité. Les maisons se sont empilées,
l’espace s’est réduit drastiquement et la montagne a perdu sa verdure
pour se noyer dans le béton. Sur la terrasse de Jonathan, la vision est
spectaculaire. Pas un seul espace vacant, des carrés de maisons de
partout. Comme un sentiment d’une ville prête à imploser. Mais il suffit
de se balader et de retrouver un peu de poésie dans ce chaos. Certaines
rues portent, non pas le nom de généraux illustres ou anonymes, mais le
nom de chansons célèbres comme Cielito lindo ou Camino de Michoacan. Et
presque inconsciemment, cela rend la rue un peu plus jolie.

             Un quartier qui sait montrer son unité comme lorsque une
bande de hooligans ont voulu se frotter au quartier lors d’une coupe du
monde. Les pandillas, bandes de jeunes, ont fait front pour ne pas être
envahi. Un code d’honneur régissait les relations entre chaque membre.
La loyauté au quartier était une des valeurs les plus importantes. Les
fêtes aussi donnaient de la vie et un sens communautaire à ces maisons
fait de bric et de broc. Ces fêtes ont fait la réputation de la ville.
Pour beaucoup, les bons danseurs de cumbias sont issus de Neza. Tout
comme ceux qui savent bien parler, faire des vers, rimer sa vie et ses
peines. La culture étant un moyen de transcender la réalité de ce
quartier urbain, prêt à s’entredévorer.
Jonathan se définit de Neza avant même de se dire Mexicain. Il est né en
1988 dans ce quartier où sont arrivés ses grand-parents et où est née sa
mère. Les trottoirs de la ville ont connu ses premiers pas, les murs ont
écouté ses premières peines de coeur et aujourd’hui sa poésie, sa façon
d’être au monde, il le doit selon lui à l’air qu’il respire dans ce
quartier populaire de Mexico. La poésie est venue à lui presque par
hasard. Il voulait être ingénieur, se dédier aux mathématiques mais
l’école étant trop loin, il est parti rejoindre sa soeur dans une école
de science politique. Ce fut tout autant une école de la vie, de la
lutte et de la résistance. Il s’est mis à lire Platon, Hegels et avec un
ami, Cienfuegos, ils ont crée un espace mural pour diffuser des textes,
des dessins, de la poésie. Mettre l’art au service de la rue. À 17 ans,
en 2005, il participe au concours de poésie de la mairie qu’il remporte.
Il rencontre un poète du quartier, Porfirio Garcia, qui lui propose
d’intégrer un groupe « Poètes en construction ». Son destin est scellé.
Il sera poète. Ce groupe sera pour lui déterminant dans son
apprentissage de la poésie. Il va se mettre à lire frénétiquement. Un de
ses auteurs favoris devient Pablo Neruda. Dans ces ateliers, il apprend
à ciseler les mots, à policer son style, à s’affronter à la critique
sans pour autant renoncer à son idéal. Et lorsque un professeur lui
dira, qu’il écrit comme Juan Gabriel, chanteur romantique par
excellence, il ne s’en offusquera pas. Il s’enfermera chez lui, avec son
cahier et après des milliers de ratures, de va-et-vient dans son monde
intérieur, il apprendra à devenir moins lyrique et à dire l’essentiel de
son jardin secret, de ses rêves, de ses peurs et de ses doutes. Son
quotidien à Neza, la dureté de la vie d’un jeune homme pauvre qui
multiplient les petits boulots pour survivre alimenteront aussi sa
poésie. Son travail sera récompensé et il participera à l’ouvrage
collectif des poètes de Nezahualcoyotl « La poésie est une arme chargée
de futur ».
Dans ce groupe, il va s’attaquer à la sémantique, à la phonétique pour
donner un rythme et une mélodie à ses vers. Dans ces ateliers, il
n’hésite pas à lire sa poésie à haute voix pour écouter la musicalité de
sa langue intérieure. Un groupe qui sera déterminant pour lui dans sa
découverte de l’histoire de son pays parce que ces professeurs
s’intéressent à tous les domaines. Ils remontent le passé, font
communiquer le présent. Il découvre ses ancêtres, la langue Nahualt
s’empare de lui et le fait héritier d’une histoire collective. Il part à
la recherche des Dieux, de l’origine du monde pour y puiser sa force et
dissoudre sa faiblesse. Perdu au milieu de milliers d’étoiles qui
scintillent comme des phares dans ses ténèbres. Assoupi dans un ciel de
rimes et de vers qui gesticulent dans les sens.
Aujourd’hui, le groupe est en sommeil. Porfirio, son mentor, a décidé
après un infarctus de ne plus venir aux ateliers. Progressivement, le
groupe s’est dissous. Jonathan en parle avec une certaine tristesse et
surtout, il se souvient encore des mots de fin de Porfirio. Il a été
anéanti. Comme s’il perdait un bout de lui. Il se souvient d’être rentré
chez lui en pleurs. Comme s’il venait de perdre son père. Celui qu’il
avait choisi. Celui qui l’avait ouvert à la poésie.
Tout ce travail en collectif lui a permis après un long temps de
maturation, près de dix ans, de sortir son premier libre. Il en est
fier. Il sait qu’il a trouvé son style et que maintenant, il faut
l’améliorer, revenir sur l’ouvrage encore et encore. Ne jamais se lasser
de vouloir bien faire, de chercher cette musicalité qu’il a au fond de
lui. Pour finalement l’offrir au monde. En ouverture, il rendra hommage
à son quartier, à cette ville qui l’a construite « Être de Neza et ne
pas être poète est une contradiction biologique ». Parfois, il se laisse
déborder par les mots et ne pouvant tout dire dans un poème, il écrit
des articles journalistiques sur la réalité à Neza, sur la corruption
qui gangrène tout, sur la violence qui n’est qu’un écran de fumée pour
marquer l’inertie et l’indifférence du gouvernement. Il se dit militant
et engagé afin que ces combats donnent une autre force à ses mots et
vice-versa.
Jonathan sait désormais ce qu’il veut écrire. Il a affirmé son Être «
Les poètes doivent écrire sur leurs parents et sur leur patrie. Et pour
moi, ma Patrie, c’est Neza ». Effectivement, il a écrit un poème à sa
mère où il a appris à être précis, à synthétiser en quelques mots tout
l’amour qu’il a pour elle. Sans pour autant, dépasser les mots de
Porfirio qui décrit sa mère comme étant la « Veuve de Dieu ». L’élève ne
veut surtout pas dépasser le maître. Pas de son vivant du moins.
Il vit la poésie viscéralement, elle est inscrite dans chacun de ses
pores et lorsque les images l’attaquent, il n’a pas d’autres moyen que
de les coucher sur le papier. Pour lui, faire de la poésie, « c’est
faire de la musique par les mots ». C’est pour cela qu’il lit autant
qu’il s’imprègne de chansons pour nourrir son univers personnel, pour
l’ouvrir à la richesse d’un autre artiste. Mélanger et transformer ce
qu’il prend pour en donner une autre forme, une sonorité qui lui est propre.

            Jonathan est un jeune homme de son temps qui saisit tout ce
qui l’entoure et sa passion des mots le conduit à animer des ateliers
avec des enfants. Il leur a appris à se désinhiber devant la
littérature, la poésie, à ne pas sacraliser l’écrivain et prendre de
l’intérêt pour l’art en général. Et surtout, il leur rend possible un
imaginaire. Il rompt les stéréotypes en montrant que venir d’un quartier
populaire, « malfamé » n’est pas une barrière infranchissable. Il veut
démontrer que le paradigme qui affirme que seul celui qui a de l’argent
peut écrire n’est pas irréversible. Pour Jonathan, c’est la passion, la
rencontre, les hasards qui font l’artiste et non pas le pedigree ni
l’héritage.

Et finir sur un poème, en langue originale
Juste ressentir la musicalité, le rythme des mots

Dolores inagotables
Es necesario ocultarnos,
contarnos entre los muertos,
tomar distancia de las cosas,
andar en el frío de los otoños, deshojándonos,
entrar al mundo desprevenidos,
a crujir de sufrimiento por las calles
La ciudad arde en los rostros
como si las venas se fueran abriendo
caóticamente, hasta llorar de abandono.
Estamos hechos de dolores,
de tragedias repentinas,
de laberintos que
nos llevan como raíces tormentosas,
en las azoteas del tiempo.
Nada saben de nosotros
cuando a solas, en nuestras
propias ruinas, emergemos
hacia la muerte,
cuando salimos a derramar
ciertas gotas de tristeza en las grietas
del horizonte, donde tenuemente comienza a caer
la lluvia.

Traba, Août 2018
Share this:

    Publier un articleTwitterFacebook207Google

Sur le même thème

Carte postale de ManaguaDans "Nicaragua"

La familia Raíces. Son de Oaxaca.Dans "Mexique"

Petite histoire du NicaraguaDans "Nicaragua"
MexicoDF, Mexique, Nezahualcoyotl, photos, textes	
Navigation des articles
← Ayotzinapa. La grande manipulation.
Laisser un commentaire


More information about the D66 mailing list